|
|
Pascal Imbert, PDG de Wavestone
le 20/06/2023 16:00:00
|
Wavestone: 'l'IA est une chance, mais aussi une menace'
Le cabinet de conseil Wavestone a dévoilé fin mai les résultats de son exercice 2022/23, clos le 31 mars, qui lui ont permis de réaffirmer ses objectifs de croissance. Cette publication a constitué l'occasion pour évoquer avec Pascal Imbert, son PDG et fondateur, la santé actuelle du marché ainsi que le grand sujet chaud du moment, l'émergence de l'intelligence artificielle.
Cercle Finance: Vos résultats annuels ont été bien accueillis en Bourse. A quoi attribuez-vous cette réaction favorable?
Pascal Imbert: D'après les différents retours que j'ai pu avoir avec les investisseurs et les analystes financiers, ce sont surtout nos perspectives pour l'exercice 2023/24 - à savoir la poursuite d'un bon niveau de croissance organique au moins égale à 7% assortie d'une marge opérationnelle courante aux alentours de 15% - qui ont agréablement surpris le marché. Alors que notre secteur entre dans une période qui s'annonce plus délicate, bon nombre de nos concurrents tendent à se montrer plus prudents. Nos perspectives témoignent au contraire d'une certaine confiance.
CF: Ne pensez-vous pas avoir également bénéficié du récent engouement autour des valeurs technologiques, et plus particulièrement celles les plus exposées à l'intelligence artificielle (IA)?
PI: Sans doute, même s'il est encore trop tôt pour savoir si l'IA constitue à long terme une réelle opportunité, ou au contraire une menace. Quoiqu'il en soit, dans les deux ou trois années à venir, il est certain que cette rupture technologique va représenter une formidable chance pour une entreprise comme Wavestone. Il est évident que l'IA générative peut permettre à nos clients d'optimiser leurs processus opérationnels ou de proposer une meilleure expérience à leur propre clientèle. En outre, avec l'essor de cette technologie, va aussi apparaître un nouvel écosystème qui va poser toute une série de problèmes en termes de cybersécurité, de protection des données personnelles et d'éthique: cela tombe bien, car ce sont des domaines dans lesquels nous jouissons de fortes compétences et d'une excellente réputation.
CF: Et quels sont les facteurs de risque?
PI: A moyen terme, nous allons devoir demeurer vigilants afin que notre offre ne reste pas focalisée sur des sujets qui, à terme, pourraient se trouver ramenés au rang de commodités, même si cela ne concerne, de mon point de vue, qu'une partie très minoritaire de nos activités. Ce qui est flagrant, c'est que l'IA va changer le paysage des prestations de conseil. Il va donc falloir que nous ajoutions les bons outils aux mallettes de nos consultants afin de nous assurer que leur apport de valeur et leur efficacité reste incontestable.
CF: Certains groupes technologiques n'hésitent plus à intégrer l'IA au sein de leur modèle économique. Est-ce une démarche qui a du sens?
PI: L'essence du métier du conseil, c'est apporter de la valeur ajoutée à nos clients. L'important est moins d'opérer un changement de "business model" que d'entamer un véritable travail de reconception de nos outils et de nos approches pour continuer à apporter le même niveau de valeur. A titre d'exemple, les cabinets de conseil ont été fréquemment sollicités, au cours des dernières années, par les établissements financiers pour des missions de remédiations lorsqu'apparaissaient des cas de non-conformité par rapport aux exigence réglementaires. Ces travaux passaient par la manipulation d'une quantité importante d'informations et de documents, un processus qui s'avère chronophage et répétitif. Nous utilisons déjà des solutions d'apprentissage automatique ou analytiques pour nous aider dans ce type de tâche, mais l'émergence de l'IA fait quasiment disparaître la nécessité de mandater un cabinet de conseil. Notre fonction se bornera désormais à aider les clients à s'équiper des produits leur permettant de devenir totalement autonomes sur ces questions, ce qui va nécessairement impacter notre métier.
CF: Du fait de la nature de vos activités, vous prenez constamment le pouls de l'activité de vos clients. Avec le spectre de la récession, avez-vous noté un retournement de leurs projets de dépense?
PI: Nous n'avons pas le sentiment de nous trouver dans une situation de crise, même si nous observons des coups de frein dans certains secteurs et, plus globalement, davantage de prudence au moment d'engager des dépenses. Nous constatons une recrudescence des investissements dits "défensifs", qui permettent aux entreprises de préserver les marges, au détriment de projets de développement plus offensifs pouvant porter, entre autres, sur le développement de nouveaux métiers. Ce changement de physionomie des projets s'accompagne d'un plus grand attentisme. Au niveau sectoriel, l'énergie et le luxe affichent une forme étincelante et la demande dans l'assurance reste forte. En revanche, d'autres secteurs comme l'industrie traversent indéniablement une passe plus compliquée, avec des nuages qui ne cessent de s'accumuler à l'horizon. C'est également le cas de la banque, dont l'environnement est en train de devenir moins porteur.
CF: Vous affichez également des objectifs explicites en termes de fusions-acquisitions (M&A)....
PI: Notre ambition stratégique pour les années qui viennent, c'est d'acquérir une stature internationale. La part de notre chiffre d'affaires réalisé hors de France n'atteint aujourd'hui que 20%. Nous restons très concentrés sur le marché français, ce qui présente un frein à notre développement : nos clients sont souvent de grandes multinationales disposant d'un fort rayonnement à l'étranger et le fait d'apparaître comme un cabinet très tourné vers l'Hexagone peut paraître handicapant. L'expansion de notre empreinte internationale passe par deux objectifs prioritaires: le Royaume-Uni, un marché sur lequel nous avons beaucoup grandi récemment et où nous sommes en réussite, et les Etats-Unis, où nous avons bien l'intention de décoller dans les années qui viennent.
CF: Quid d'une opération plus transformante?
PI: Nous savons que des fusions entre égaux bien menées sont susceptibles de changer la dimension d'une entreprise. L'acquisition de Kurt Salmon, en 2016, nous avait ainsi permis de créer beaucoup de valeur. Nous gardons ce type d'opérations dans le radar, tout en ayant bien conscience que le nombre de candidats potentiels reste limité. Par ailleurs, tout le monde n'est pas ouvert à des rapprochements de ce type. Mais des conversations ont été entamées en ce sens et j'espère qu'elles pourront se matérialiser à horizon 2025. Si une opportunité du même type devait se présenter, nous n'hésiterions donc pas à la saisir!